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parlerai pas… je ne lui dirai rien… Ma dignité veut que je reste muet, devant lui, comme à la Chambre… Il me verra seulement dans mon appareil de penseur sublime… Oui, en sa présence, je consens à penser des choses sublimes… Ça, je peux le faire… Quand il entrera dans mon cabinet, je tiendrai en ma main un crâne, ou une couronne, ou une vieille épée, et j’en tirerai — mentalement — toutes les réflexions sublimes que doivent suggérer à un esprit comme le mien de nobles objets périmés et douloureux comme ceux-là ! » Permettez cependant que je prenne position, car je n’attendais pas si tôt votre visite.

Il saisit sur son bureau une vieille couronne ducale, qui lui servait de presse-papier, la soupesa dans sa main droite, et, le front tristement appuyé à sa paume gauche, il appela à lui les pensées profondes et les sublimes symboles.

Lorsque je l’eus admiré, durant quelques minutes :

— C’est très beau, avouai-je, très impressionnant, très dramatique… Mais le sublime, avec ses ordinaires accessoires : les couronnes brisées, les crânes en poussière, les vieux tombeaux, ne trouvez-vous pas qu’il a, parfois, ses dangers ? Voyez plutôt M. Mounet-Sully… Il y a bien du déchet dans son sublime… Et il s’y connaît pourtant !… Ah ! le sublime ! Réussi, c’est Hamlet… et alors nous frissonnons en nos moelles… Oui, mais, raté… c’est Joseph Prud-