Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles étaient applaudies avec enthousiasme. On ne considéra pas ce qu’elles pouvaient contenir d’impersonnelle et inviolable beauté ; on ne vit, dans cette exécution imbécile, que le besoin de se désolidariser d’un homme, dont la corruption individuelle « pouvait jeter, sur tout un pays, un éclat louche ».

Et admirez l’inconséquence !

L’Angleterre se reconnaît, se mire, s’exalte, se purifie dans Shakespeare, qui chanta ce vice infâme et le commit. Il ne faudrait pas toucher à sa gloire, que chaque année élargit et renforce d’éblouissements nouveaux. Son œuvre survit, admirablement pure, à son péché, et elle l’ignore ou elle l’absout. Qui sait si ce n’est pas dans le péché que la plupart des grands hommes ont puisé le secret de leur force, et l’expression de leur beauté, et le frisson de leurs douleurs ? N’y a-t-il point, dans la débauche la plus crapuleuse, une minute mystérieuse où l’homme le plus brut atteint aux plus haut sommet de la vie, et conçoit l’infini ?

On me dira : « Vous ne pouvez comparer Wilde à Shakespeare, ni à aucun de ces génies qui firent la joie et l’excuse de l’humanité. » Je le veux bien. Mais Wilde est jeune, il a devant lui tout un avenir, et il a prouvé, par des œuvres charmantes et fortes, qu’il pouvait beaucoup pour la beauté et pour l’art. N’est-ce donc point une chose abominable que, pour réprimer des actes qui ne sont point punissables en soi, on