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inscrivit dans la préface de son livre, et j’ajoute : « L’immoralité, c’est tout ce qui offense l’intelligence et la beauté. »

Il faut lire le Portrait de Dorian Gray, sans trop s’attarder à l’affabulation, belle quelquefois mais souvent indifférente et d’un romantisme banal ; il convient de s’attacher surtout aux idées ingénieuses dont il fourmille, aux sensations très spéciales qu’il analyse, aux multiples problèmes de morale individuelle qu’il soulève. À ce point de vue, c’est une œuvre singulière et forte, et qui contient des pages tout à fait admirables. Pas un lecteur de bonne foi et de réflexion — si sévère soit-il — n’en pourra nier l’intérêt passionnant et l’étrange nouveauté. Elle projette, dans les ténèbres de la conscience, de troublantes et fascinantes lueurs.

On a dit que l’art d’Oscar Wilde procédait de celui de M. Huysmans. Je n’ai pas du tout cette impression. Même dans des sujets qui comportent l’abstraction pure, M. Huysmans ne va jamais au delà de l’extériorité des choses et des êtres, qu’il colore et déforme, selon l’angle de sa très particulière mais restreinte vision. Avec autant de pittoresque, et un goût semblable pour les spectacles artificiels, Oscar Wilde me semble plus spéculatif, plus curieux d’intelligence, plus familier avec les idées générales. Il manipule avec une plus grande dextérité le mécanisme compliqué des actions et des passions humaines. Par l’acuité de la pensée, la hardiesse et l’étendue