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tuné Oscar Wilde, un art brillant et précieux, en même temps qu’une intelligence profonde et rare, rare aux deux sens de ce mot. Eh bien, des pages de philosophie et de sensualité, par quoi se caractérise cette œuvre supérieure à l’idée que nous nous faisons de l’esthétisme, l’impression reste d’un charme délicieux, émouvant, où la force de l’esprit et l’élégance inventive de la pensée se combinent avec une dose de poison, qui en avive les violents et subtils arômes. Le maniérisme n’y est point fatigant ; il se montre, au contraire, presque toujours joli, d’une grâce parfois exquise, d’un goût très sûr ; et il n’y a pas « trop de lys », ainsi qu’on pouvait le craindre d’un homme qui en abusait tant, dans la vie. J’avoue que ce livre n’est point écrit pour les jeunes filles et qu’il exhale cette odeur impure dont parle M. Marcel Prévost. Mais c’est immoral ! dira-t-on. Et puis après ? Qu’est-ce que l’immoralité ? Je voudrais bien qu’on me la définisse une bonne fois, car on ne s’entend guère là-dessus, et, pour beaucoup de braves gens que je pourrais nommer, l’immoralité c’est tout ce qui est beau. Pour le crapaud, l’immoralité, c’est l’oiseau qui vole dans l’air et chante dans les branches ; pour le cloporte, ignoblement condamné aux murs visqueux des caves, ce sont les abeilles qui se roulent dans le pollen des fleurs. « Un livre n’est point moral ou immoral, il est bien ou mal écrit : c’est tout. » Je m’en tiens à cette définition qu’Oscar Wilde