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Tous les organes sociaux ont été plus ou moins retapés, améliorés, à l’exception de l’organe judiciaire, en qui l’âme des temps barbares et la folie des antiques violences contre la personne humaine demeurent intactes et respectées… Voyons, est-ce que, en France, le juge d’instruction, par exemple, avec ses pouvoirs souverains, son autorité formidable, que nul contrôle, nulle responsabilité ne contre-balance, n’est pas une monstruosité, un défi permanent à cette Justice même qu’il incarne ? Les moyens dont il se sert pour tirer des aveux de ceux-là qu’il suppose ou qu’il veut coupables, ne sont-ils pas, presque toujours, soit des délits caractérisés, soit même des crimes ? Et ne gardent-ils pas un souvenir des anciennes tortures, et ne sont-ils pas, en réalité, une application, morale toujours, mais souvent physique, des rites abolis de l’Inquisition ?… Il faut avoir le courage de le dire, et de le redire. Tout juge qu’il soit, un juge est un homme comme les autres. Peut-être même l’est-il plus que les autres, et plus que les autres soumis, par son propre métier, à des tentations et à des folies qui en font un être déformé, un maniaque, un délinquant, comme disent les philosophes. Un de mes amis, savant très illustre, a eu l’occasion d’étudier le cerveau d’un juge qui, durant sa vie, passa pour un homme admirable dans son art, d’une intégrité supérieure et d’une intelligence lucide. Eh bien, il y trouva des lésions profondes, et telles qu’on en observe seule-