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et turbulences de la rue, qui sont une gêne et un retard pour les affaires. » Les lois n’y sont pour rien. Il ne faut pas voir, dans ce que vous admirez chez nous, autre chose qu’une manifestation de notre égoïsme. Car nous ne valons pas mieux que les autres peuples, et nos institutions politiques ne sont point d’une essence supérieure à celles du vôtre. Toutes se valent, au fond ; c’est-à-dire qu’elles ne valent rien et qu’elles pèsent sur l’homme, qu’il soit du Nord ou du Midi, de l’Est ou de l’Ouest, du même poids écrasant… En ce qui concerne Oscar Wilde et sa condamnation, oui, ç’a été, même chez nous, un moment de stupeur. Nous ignorions, ou à peu près, en quoi consistait le hard labour. Il n’y a eu qu’une opinion, se résumant de la sorte : « C’est abominable !… C’est un reste des vieilles coutumes barbares ; il faut, à tout prix, changer cela, pour l’honneur de la civilisation ! » Et puis, ce tribut payé à la pitié, on n’y a plus pensé, et on n’y pensera plus jusqu’à ce qu’un autre événement revienne nous apprendre encore que le hard labour existe réellement et qu’il faut le changer. Hélas ! il existe partout, le hard labour, aussi bien en Russie, le pays du bon plaisir sanglant, qu’en Allemagne, en France, en Italie. La forme du supplice diffère selon les pays, mais la douleur humaine n’en perd pas, croyez-moi, un seul cri, ni une seule goutte de sang. Et ce qui est curieux, c’est qu’on ait touché à tout, sauf à l’appareil de la justice !…