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une perversité singulière, cet argent avec lequel il pourrait vivre quelques semaines, et puiser de nouvelles forces, en vue des détresses prochaines, il le donne à de plus pauvres que lui ; âme charmante, qui reste, dans cette horreur, douce, naïve, confiante, presque heureuse, ébauchant des projets de livres, de pièces, écrivant, le soir, à la lueur des réverbères, des articles de journaux, dont il ne doute pas un instant qu’ils vont lui donner, dès le lendemain, des sommes considérables et de considérables honneurs.

Nul autre drame, nulle autre action, dans ce livre, que la faim. Et dans ce sujet, poignant, mais qu’on pourrait croire, à la longue, monotone, c’est une diversité d’impressions, d’épisodes renouvelés de rencontres dans la rue, de paysages nocturnes, un défilé curieux de figures imprévues, étrangement bizarres, qui font de ce livre une œuvre unique, de premier ordre, et qui passionne.

Autobiographie, sûrement.

J’ai là sous les yeux la photographie de Knut Hamsun. C’est un homme de forte carrure, de membres vigoureux et souples. Sous des cheveux rudes, impeignés, son front est modelé en coups de pouces énergiques et nets. Son regard est étrange. Dans l’enfoncement de l’orbite, il a des lueurs profondes et sourdes. On sent qu’il a dû connaître bien des spectacles exceptionnels : il a quelque chose de lointain, de voyageur, de nostalgique, comme le regard des marins. La