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artistes. Je crains bien qu’on ne fasse payer à ces derniers, d’un silence repentant, l’exagération des éloges dont M. Auguste Strindberg bénéficia si malencontreusement et qui l’écrasèrent sans rémission.

Je voudrais, pourtant, parler aujourd’hui d’un homme singulièrement doué, d’un personnage original et puissant qui mérite, à tous égards, l’attention des lettrés et des curieux d’âmes peu banales. Il s’appelle Knut Hamsun, et l’éditeur Albert Langen vient de nous révéler une œuvre extraordinaire de ce Norvégien : La Faim.

Extraordinaire, vraiment, et qui ne ressemble à aucune œuvre connue. N’allez pas vous imaginer que ce titre cache un livre de révolte sociale, des prêches ardents, des anathèmes et des revendications. Nullement. La Faim est le roman d’un jeune homme qui a faim, voilà tout, qui passe des jours et des jours sans manger, et qui n’a pas une plainte, et qui n’a pas une haine. Chassé de son pauvre logement, il vagabonde à travers les rues de Christiania ; sans autre domicile que les fourrés des bois d’alentours, sans autre lit que les bancs des jardins. Sa détresse se complique de sa fierté, car il ne veut pas paraître pauvre, et de sa stricte honnêteté, car il ne veut pas devenir un voleur. Plus il a faim, plus il se raidit dans sa dignité. Quelquefois lui arrive l’aubaine de quelque argent. Mais ce n’est qu’une courte halte, dans cette permanente montée au Calvaire de la Faim. Puis, le plus souvent, par