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heures, le rire aux lèvres, afin de me bien prouver que la patrie n’était point morte et que je ne l’avais pas tuée. J’ai lu, à ce propos, des phrases admirables et dignes d’entrer, encore tout humides d’encre, dans l’impartiale et définitive Histoire. Je conviens que cela fut un beau spectacle et surtout un spectacle consolant.

De tout ce qui a été écrit sur le Calvaire, il résulte que je suis un sacrilège, parce qu’aux implacables férocités de la guerre j’ai osé mêler la supplication d’une pitié ; que je suis un iconoclaste, parce qu’en voyant la ruine des choses et la mort des jeunes hommes, mon âme s’est émue et troublée ; que je suis un espion allemand, parce que j’ai voulu regarder en face la défaite ; que je suis un réfractaire, parce qu’on suppose que mon roman sera traduit en allemand, ce qui, jusqu’ici, n’était pas encore arrivé à un ouvrage français… J’en passe… Les plus bienveillants ont prétendu, avec des regrets tristes, que je suis un inconscient et un fou, parce qu’on ne doit jamais écrire ce qui est vrai, et qu’il faut, sous l’enguirlandement hypocrite de l’écriture, si bien dissimuler la vérité que personne ne puisse la découvrir jamais. Enfin, il est avéré que j’ai commis là une œuvre criminelle, anti-française, ou, tout au moins, imprudente…

Des personnes qui me veulent du bien m’ont conseillé de répondre… Répondre à qui ? à quoi ? Et que dirai-je ?… J’avoue que je ne