Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/252

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il faut que tout le monde vive, et les temps sont durs… Quand la commission de la Censure se met à faire, par hasard, quelque chose, elle ne fait jamais que des bêtises… Aussi, pourquoi s’imagine-t-elle que quelqu’un, dans le monde, lui demande de faire quoi que ce soit !… J’ai connu un homme excellent et très spirituel, Émile Marras, qui était conservateur du Dépôt des marbres. Lui, du moins, avait compris sa fonction qui était de ne rien faire… Et il ne faisait jamais rien. Somptueusement logé par le garde-meuble, entouré des plus beaux objets d’art, ayant un jardin où il cultivait des légumes, et une luzerne immense où il eût pu faire paître une vache, il était parfaitement heureux. À chaque changement de ministère, il se disait, sans trop d’inquiétudes, du reste :

— S’il prenait jamais à un ministre l’idée de venir, par lui-même, se rendre compte de l’étrange paradoxe qu’est ma fonction… je serais foutu…

Mais les ministres ne venaient jamais. Ils ne viennent jamais nulle part. Et c’est bien ce que devrait se dire la Censure… Donc, les neuf dixièmes du temps, elle est parfaitement inutile, et pour le reste, qui ne comporte qu’un dixième, elle est nuisible… Eh bien ! ne pourrait-on l’utiliser à quelque chose, et même à quelque chose de bien ? Pourquoi ne l’emploierait-on pas à la préservation de notre domaine intellectuel ?… Au lieu d’interdire par à-coups et sans