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des choses qui ne sont point encore réalisées et dont notre pauvre et faible esprit ne peut même concevoir la réalisation future. Rien ne satisfait notre paresse et notre engourdissement mental, rien n’endort nos terreurs d’hommes ayant la haine du changement et la crainte du mieux, comme ce mot d’utopie !… Utopie !… Mot magique et qui semble nous garder à jamais des révolutions !… Avant qu’il ne fonctionnât, le suffrage universel était, lui aussi, une utopie… Et comme les Cornély du temps devaient pouffer de rire, à l’idée de cette chose ridicule et inapplicable !… Quelle matière admirable pour exercer son ironie et son bon sens !… Les chemins de fer, toutes les féeries de l’électricité, toutes les conquêtes de la vie moderne… utopies, également !… Tout ce qui fait partie aujourd’hui de notre mécanisme social et que nous jugeons, pourtant, bien insuffisant à nos besoins nouveaux… tout cela était autrefois une utopie… Pauvres êtres qui n’aimons pas être dérangés dans la prison de l’habitude, qui ne voulons jamais être lavés des crasses accumulées de la routine, nous employons ce qui nous reste de facultés à ne pas nous souvenir d’hier, et à toujours nier demain… Et, pourtant, la marche en avant de la vie est telle, et les poussées lentes mais profondes, de l’évolution sont si irrésistibles, que malgré nous, en dépit des lourdes passivités de notre inertie, le progrès chemine sans arrêt, et que les utopies de la