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pour voir… ceci, pour manger… ceci… oh ! ceci, par exemple ! je ne sais pas !

— Comment ?… tu ne sais pas ?… répliquait l’homme, désappointé. De tous mes organes, c’est celui qui me tourmente le plus… Je voudrais bien pourtant savoir à quoi il rime et quel usage j’en puis faire !… Voyons… voyons… tu dois le savoir !…

— Non, en vérité, je ne sais pas ! répondait l’ange, sincère et troublé. Mais ne t’impatiente pas comme ça… Je m’informerai !…

Resté seul, l’homme s’ennuie. Il se couche sur l’herbe, se tourne, se retourne, s’étire les bras, les jambes, bâille, pousse des soupirs, ne sait que faire… Il s’ennuie prodigieusement. Mais Jéhovah, à qui les choses sont fidèlement rapportées, a pitié de lui. Il bougonne, en sa bonté bourrue :

— Ah ! l’homme !… quelle bête à chagrin ! Et pourquoi ai-je eu l’idée bizarre et ridicule de le mettre au monde ?… Je n’en ai vraiment que du désagrément… Lui aussi, du reste !… Il s’ennuie… oui, oui, c’est évident !… C’était prévu, parbleu !… Je le savais !… Il ne peut pas ne pas s’ennuyer d’être toujours si seul !… Et puis, je l’ai doué d’un organe impérieux et tracassier sans lui donner les moyens — au moins honnêtes — de le satisfaire !… Achevons-le donc !… Et créons la femme !… Mais quels embêtements vais-je encore m’attirer ?… Enfin !… n’ai-je pas mis de côté un peu d’argile ?