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nyme, et on l’envoie en Sibérie, pour une durée de cinq ou dix ans, suivant le cas. La plupart du temps, il ne sait pas pourquoi on l’arrête, et il n’a aucun moyen de le savoir, ni aucune possibilité de se défendre contre ce qui, très souvent, ne repose que sur une fausse accusation ou une simple erreur d’identité. Dès l’instant où le gendarme lui a mis la main à l’épaule, il est, irrémédiablement, par ce geste, séparé du monde. Toutes communications, même morales, avec sa famille, ses amis, ses répondants, ceux qui pourraient se constituer ses défenseurs, lui sont impitoyablement fermées. Le ministre de l’Intérieur, à qui est dévolu l’accomplissement de « ces mesures administratives », ignore aussi, en général, leur motif, et il n’en a cure. Il n’a pas le temps de le savoir, étant requis par de multiples et analogues besognes, et il préfère s’en rapporter au vague de la dénonciation et au zèle imbécile d’un agent subalterne.

Dans le langage de la justice russe, le « déplacement par voie administrative » n’est pas considéré comme une peine. On ne va pas, il est vrai, jusqu’à l’orner du titre de récompense nationale, non. On le qualifie sobrement de « mesure administrative », ou encore de « mesure de préservation sociale ». Nous verrons plus loin, par les effrayantes tortures d’une peine qui n’est pas une peine, ce que peuvent bien être celles d’une peine qui est vraiment une peine.

Les convois de détenus et d’exilés partent,