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que les ouvriers du port qui avaient assisté à cette représentation subversive étaient sortis du théâtre et s’étaient répandus dans les rues en chantant. Il est bon pour les armateurs que les ouvriers pleurent ; il n’est pas bon qu’ils chantent. Cela veut dire qu’ils ne sont pas heureux, car, dans les chansons du peuple, il y a toujours, au bout, une revendication ou une menace. Le brave bourgmestre d’Anvers l’avait compris ainsi. Il ne lui fallut pas un long discours — même allemand — pour supprimer ma pièce. Il la supprima donc. C’était d’ailleurs une raison.

Mais le Jardin des supplices ? Pourquoi fut-il saisi à Bruges ?… On ne le sait pas, et nous en sommes réduits à de simples conjectures. La Ligue contre la licence des livres, qui le dénonça au Parquet, et le Parquet, qui s’empressa d’obéir aux injonctions de la Ligue, ont sans doute pensé que ça manquait de gravures obscènes. Sans doute qu’ils ont jugé aussi que l’obscénité du livre — puisque obscénité il y a — en était trop triste et trop douloureuse, et qu’il ne pouvait servir de livre de chevet à ces braves messieurs, à ces vieux messieurs de la Vertu, de la Loi et de la Morale. Il faut à leur sénilité amoureuse d’autres ragoûts de luxure et de plus rouges piments. Du reste, dans un pays gouverné par un roi si vertueux, dans un pays si hospitalier aux Sade et aux Nerciat, dont