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essence, la fiction d’aujourd’hui, le thème sublime de demain.

Rien n’est aussi simple, aussi beau, que le début de ce livre.

Mathieu Froment, auréolé de sa dignité de jeune père et, en même temps, accablé de ses lourdes charges de famille, prisonnier de la médiocrité d’une existence besogneuse, sans but, noble et sans avenir, rivé aux parentés patronales égoïstes et tyranniques, joyeux quand même, car il est sain et fort, inventif toujours, poète avec des instincts pratiques, homme de pensée et homme d’action, en est arrivé au moment troublant où il doit choisir entre le triste pain, durement assuré, et l’aventure. Il choisit l’aventure, et l’aventure ici, ce n’est pas autre chose que la conquête de la vie.

Mathieu a parfaitement déterminé une des principales causes du mal moderne. Autour de lui, il voit la famille s’éteignant et sombrant dans les inévitables tragédies, parce qu’elle borne son ambition créatrice à un enfant unique ; il voit l’humanité à toute minute frustrée de ses énergies par l’égorgement des embryons, la tristesse, l’appauvrissement, l’assassinat des enfances déracinées et livrées aux mains mercenaires ; il voit enfin chacun — celui-ci dans une folie de jouissance stérile, celui-là par système, pour transmettre intact l’héritage, et, avec l’héritage, la fatalité de ses déchéances, de ses vices et de ses crimes sociaux — se dérobant