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vieux Pathey !… C’étaient de chics types, et comme il n’y en a plus aujourd’hui !… Moi qui te parle, mon vieux, j’ai connu la Barucci !… Ma parole !… Une femme, celle-là, tu sais !… De la fantaisie, du lyrisme et de l’amour, comme dans Banville !… Et les chambrées orgiaques et borgiaques du Grand-Seize !…Et Lockroy !… Tu n’as pas idée de ce qu’était Lockroy et de l’influence intellectuelle qu’il exerçait sur la jeunesse d’alors !… Et son esprit !… Ah ! son esprit !… Un feu d’artifices roulant et pétaradant… et dont la moindre étincelle suffisait à embraser les fusées, les soleils et les bombes !… Ses articles ?… Ah ! mon vieux, c’était à se tordre de rire… Et sous ce rire débridé, éclatant, mais bon enfant, il y avait une rude philosophie, va !… Je me souviens d’un de ses articles, dans le Figaro — va-t-en voir si l’on en écrit de pareils aujourd’hui — où, pour stigmatiser l’Empire, il disait : « Étant donné un pain de quatre livres, trouvez la grosseur des doigts de pied de la boulangère… » Hein ! cette verve, ça te la coupe ! Mais il faut avoir vécu ces années-là pour en comprendre toute la beauté arrière et symbolique… Et comme la marine le préoccupait déjà, à cette joyeuse et forte époque, il terminait son article par cette charge à fond de train contre l’omnipotence des grands commandements : « Étant donnés la hauteur des mâts d’un navire et le nombre de ses canons, trouvez la longueur des favoris de l’amiral ! »…