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récréations et aux jeux… Tombes grises, noirs cônes des cyprès, petits jardins de pierre, convois franchissant la grille, familles en deuil et pleurant ; son esprit, peu à peu, s’imprégnait de toutes les misères, et des précoces pensées de la mort. Sa jeune âme, à peine sortie des limbes, n’avait, pour s’affirmer devant la vie, pour prendre conscience avec la vie, que ces visions macabres… Aussi, c’était avec un véritable effroi qu’il voyait arriver ces mercredis, marqués de croix noires, et il préférait, à ces désolants spectacles du dehors, les mornes cours intérieures et les salles d’études pleines d’ennui et de silence.

Cette impression qui pesa lourdement sur ses premières années a toujours persisté en lui. De ce contact lointain mais durable avec ce que, alors, il croyait être la campagne, il lui est demeuré, pour celle-ci, non pas de la haine, non pas de l’horreur, mais quelque méfiance. Ainsi que devant la grille du cimetière de Bruges, il s’est toujours senti mal à l’aise dans la campagne, et plein de troubles angoissants, car elle lui rappelait la mort !… Ce silence, cette solitude, ces routes qui vont on ne sait où, ce vaste cimetière de tant de vies mortes qu’est la terre brune ou herbue, ces moissons fauchées, ces horizons brouillés, il ne pouvait, non seulement y fixer une pensée sereine, mais en supporter la vue. Certes, sensible et vibrant à toutes les beautés, il en comprenait la poésie énorme.