Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.

De même que Goncourt, Rodenbach aimait que la poésie émanât directement de la vie, de l’intimité de la vie. Il ne voulait pas être contraint de l’aller chercher dans les antiques et froides mythologies, dans les légendes surannées. Il répudiait, comme une tare, toute la ferblanterie héroïque où s’enferme encore l’imagination pauvre de tant de pauvres faiseurs de vers. Il ne trouvait l’émotion véritable et la véritable grandeur poétique que parmi les visages humains, autour de lui, et parmi les choses familières qu’il savait douer d’une existence réelle, intime, profonde, adorable.

C’est en cela qu’il aurait été comme Baudelaire et comme Verlaine, avec un tempérament différent, cet être rare est précieux que l’on appelle : un poète moderne. C’est pour cela que Goncourt l’aimait tant, et que nous le chérissions d’une amitié particulière, nous qui pensions qu’une œuvre d’art — livre de prose, poème, statue ou tableau — n’est belle, n’est émouvante, n’est vivante, qu’à la condition qu’elle vienne de la vie, des sources mêmes de la vie, et qu’elle reste dans la vie !…

J’ai dit que Rodenbach aimait la vie. Il l’aimait avec intelligence et passion, et il en jouissait plus qu’un autre, car, plus qu’un autre et plus profondément il pénétrait, avec un sens suraiguisé des hommes et des choses, en ses beautés et en ses mystères. Mais il redoutait aussi la mort. Toute son œuvre, si étrange-