Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/148

Cette page a été validée par deux contributeurs.

passons à côté des beautés, sans les voir, sans nous y intéresser, sans nous y arrêter comme autrefois. À peine si la mort imprévue de Puvis de Chavannes put, un instant, nous arracher aux obsessions de l’idée fixe. Nous roulons dans le cyclone de la vie furieuse qui nous emporte on ne sait où, avec on ne sait qui !… Oh ! que j’envie ceux sur qui n’est point passé l’âpre souffle de cet orage, et qui peuvent regarder les choses, avec le même regard qu’hier !

Je les envie, certes, et je les plains plus encore, car il n’est pas mauvais que de pareilles tourmentes viennent parfois secouer l’égoïsme d’un peuple et le réveiller de son lourd sommeil. Tout n’est pas que malheur en ces crises douloureuses. À côté du mal, il y a aussi le bien qu’elles font, qu’elles feront, qu’elles ont déjà fait. On voit renaître des énergies, se reforger des caractères, se lever des idées et des consciences nouvelles ; on s’habitue à participer dans une mesure plus large au mouvement général des choses. L’âme nationale, trop portée à s’engourdir, y gagne qu’elle se sent vivre davantage, qu’elle se sent agir davantage, dans la lutte et dans le péril. Qui sait si ce n’est pas pour un avenir de justice meilleur, pour un enfantement de liberté plus belle, qu’elle subit, en ce moment, le désordre de cette fièvre et le bouleversement de cette maladie ? La maladie est, parfois, un rajeunissement. Nous avons bien des virus à ex-