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nétique et malpropre, qui sera longue encore, qui sera horrible peut-être, et peut-être sanglante… c’est la joie immense d’un avenir nouveau, la certitude d’une vie plus belle, ou, tout au moins, d’un effort vers une vie plus belle !… Moi, j’ai confiance !

— En qui ? En quoi ? Le peuple est indifférent et vaincu. Il ne croit plus à la révolution, ne s’exalte plus pour la justice, ignore la beauté. Il n’a même plus le sentiment — je ne dis pas de sa dignité : où le puiserait-il ? — mais de ses intérêts immédiats. C’est une chose molle et flasque entre les doigts de ceux qui s’en servent, le gouverneur ou l’exploiteur… Je suis trop vieux pour être ce qu’on appelle un révolutionnaire, et j’ai trop vu, trop vécu, pour ignorer que les révolutions ne peuvent rien reconstruire, parce que, en somme, elles n’ont jamais rien détruit… Elles prennent des vies humaines, mais elles laissent intacts les erreurs, les préjugés, les injustices, la sottise ! Pourtant, je comprends qu’il y a bien des choses à faire, qu’il y a tout à faire. Or, le peuple ne veut pas qu’on fasse quoi que ce soit. Il ne veut pas qu’on l’arrache aux saletés de sa bauge. Quand on lui parle de son bonheur, il se bouche les oreilles et ne veut rien entendre ; de sa liberté, il se jette aussitôt, tête baissée, dans le mensonge et l’asservissement, plus profondément !