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ment !… Est-ce donc possible qu’un être humain puisse en venir à une telle sauvagerie, à une telle laideur, et cela froidement ?

Moi, quand j’ai achevé la lecture d’un journal, j’ai l’âme encrassée de dégoût ! Je crois, véritablement, que j’ai participé à un crime !… Car, il ne faut pas s’étourdir d’excuses et se payer de mots, c’est bien le crime qui s’étale dans la presse, qui y hurle et y triomphe ! Au milieu des frénésies de l’insulte, des épilepsies de la dénonciation et de la calomnie, je vois nettement, se dresser la face même, la face ignominieuse du crime. Mes oreilles sont obsédées de ces incessants appels à l’assassinat, de ces cris de mort. Ils me poursuivent sans me lâcher… pour quiconque réfléchit, il y a bien là, dans ces journaux, un état d’esprit particulier et qui n’est pas autre chose que l’esprit du meurtre. Je trouve cela effrayant, douloureux et absurde ! Et j’ai perdu le repos !

Et il ajouta :

— Un peuple est perdu… un peuple est fini… un peuple est mort, qui tolère ces abominables brutalités, qui, non seulement les tolère, mais s’y complaît !…

— Non ! répliquai-je… Ce n’est pas un peuple qui meurt… C’est toute une série de choses et d’hommes qui s’en vont !… Ils s’en vont dans les convulsions et dans les hoquets, c’est tout naturel… Mais ils s’en vont !… Croyez-moi, au bout de cette agonie tumultueuse, fré-