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d’étrange qui me pénétrait… Et la nuit mauve… et la mer invisible… et l’orchestre lointain lui donnaient un mystère inexprimable. M. Reinach continua :

— Eh bien… j’ai rêvé… je rêve à être, dans un avenir prochain… oh ! plus prochain que vous ne pensez… Grand Inquisiteur de France !…

— C’est impossible, m’écriai-je… L’esprit de l’histoire…

— L’histoire n’a pas d’esprit, interrompit M. Reinach… C’est un vieux cheval aveugle… et qui tourne, tourne sans cesse en rond… et qui, toujours, toujours, repasse devant les mêmes choses, les mêmes bûchers… les mêmes révolutions !… Ce qui est a été déjà… Ce qui fut jadis sera encore !…

— Erreur !… L’humanité ne régresse pas… Elle marche de l’avant, sans s’arrêter…

— Enfant !… Voyez la Chine… le Yucatan… l’Égypte !…

— Déplacement, soit !… reculade, jamais !

— Circonférence !… conclut cet homme passionné qui, avec sa canne, traça un vaste cercle aérien, dans le mauve de la nuit !…

Je n’étais pas à bout d’objections.

— J’admets… concédai-je… Mais, Grand Inquisiteur de France !… Voyons, vous êtes juif, mon cher Reinach… Je ne vous le reproche pas… comprenez bien… Mais vous êtes juif !…

— Raison de plus !…