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refît l’Ecclésiaste ! Et Théodore ne sent pas en son âme, le pessimisme nécessaire à ce genre de littérature !… Quant à moi !… Eh ! mon Dieu !… je ne le dissimule pas… ma fortune subit, en ce moment, une éclipse… Mais les éclipses ne sont pas éternelles. Elles passent, l’astre demeure ; Astra manent… Et elles ont ceci d’admirable et de consolateur qu’elles semblent garder plus de lumière à l’astre qu’elles ont voilé un instant ! Or, je suis cet astre… et Panama cette éclipse !… Croyez que je rebrûlerai bientôt — et avec quelle plus intense clarté ! — dans le gâchis de notre firmament politique !…

J’étais ébranlé. L’heure se poursuivait, amollissante. Nul antisémitisme n’en dérangeait le cours paisible et captieux. Je sentais la nature elle-même harmonieuse à la volonté de mon ami. Triste et charmé tout ensemble, je murmurai :

— Vous avez peut-être raison, mon cher Reinach. Avouez pourtant que c’eût été un beau rêve !…

Plus tendre, plus fraternel de s’être confessé, il voulut me montrer toute son âme :

— Un beau rêve ! soupira-t-il. Eh bien, savez-vous à quoi j’ai rêvé ?… à quoi je rêve toujours ?… Le secret de la passion et de la force tenace que vous daignez admirer en moi, le savez-vous ?

— Parlez !… suppliai-je, ému.

Oh ! oui, ému ! Car la voix de M. Joseph Reinach avait, à cette seconde, quelque chose