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tout de même, car il est rempli de choses inégalables. Et puis, sous l’orage des invectives et des vociférations, sous les grands éclats d’un orgueil intolérable — j’en conviens — vous entendrez aussi saigner un cœur dans ce livre douloureux où chaque ligne est comme l’ahan, le cri de révolte, et l’acceptation finale de cette montée au Calvaire que fut, jusqu’ici, la vie de Léon Bloy.

Oh ! je sais bien, tout le monde prétendra que cette vie, c’est lui seul qui l’a faite. Sa misère, il l’a forgée de ses propres mains. Par son intransigeance, par son orgueil, par sa fièvre d’extermination, il a ouvert entre lui et les autres un espace infranchissable, que nul n’osa franchir, car il n’est peut-être personne que ses invectives n’aient atteint et marqué à la face. Sa situation, il l’a rendue si excessive que ceux-là qui tenteraient de le défendre et de reconnaître publiquement les dons supérieurs, les dons uniques, qui font de lui un si exceptionnel tempérament d’écrivain, seraient englobés dans la même haine que lui. Tous se taisent, les uns par rancune, les autres pour ne point paraître complices de ses mépris, de ses dégoûts, de ses excommunications. Il y a beaucoup de lâcheté dans ce silence, soit ; mais il y a autre chose, aussi, par où le malentendu s’accuse davantage, c’est que Léon Bloy n’est pas quelqu’un de notre temps ; il est dépaysé dans ce siècle qui ferme ses oreilles à la parole ardente