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l’inaffrontable et morne ennui du moderne.

Il va sans dire que Léon Bloy fut copieusement éreinté. On l’accusa de toutes les vilenies, on le couvrit de tous les opprobres. Quelqu’un qui fût entré là, sans préparation, eût tout de suite pensé qu’il s’agissait d’un criminel, ayant inventé une nouvelle épouvante. Évidemment, si au lieu d’être coupable d’un beau et douloureux livre, Léon Bloy eût frappé de sa canne les femmes, au Bazar de la Charité, violé des sépultures et découpé de petits enfants en morceaux, on eût parlé de lui avec plus d’indulgence et moins d’indignation. On lui reprocha son ingratitude, son orgueil, son irrémissible pauvreté. Plusieurs poussèrent la littérature et la psychologie jusqu’à lui dénier toute espèce de talent et toute espèce de style. Le comique suprême fut atteint d’entendre une sorte de coiffeur de lettres, qui patauge dans ses phrases comme un hanneton tombé dans un pot de pommade liquide, l’écraser d’un seul coup, en invoquant Blaise Pascal. Enfin, les vieilles légendes dont on crucifia jadis l’auteur du Désespéré, et qui semblaient dormir dans les poussières des salles de rédaction, chacun se plut à les réveiller. Je ne nommerai pas ces braves gens, car bien qu’ils soient tous illustres, ils n’ont, en réalité, pas de nom, ou ils ont le même nom monosyllabique et disgracieux que vous savez et qui équivaut à n’en avoir pas du tout.