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et qui, bien que très jeune, bien que trop jeune, a beaucoup lu, beaucoup vu, beaucoup senti, beaucoup désiré, et un peu raillé tout, et elle-même, faute de pouvoir agir selon le rythme de ses ambitions et de sa volonté. Si l’on veut s’en tenir à cette explication, qui fut donnée de si mauvaise foi, à savoir que ce livre est « une histoire militaire et politique » de Napoléon, il est bien certain qu’il manque d’unité, qu’il paraît fort décousu et incompréhensible. Il est compréhensible et poignant, si l’on veut bien reconnaître qu’il n’a d’autres visées que de nous montrer l’état d’esprit d’un jeune homme et de presque tous les jeunes hommes de cette génération, aux prises avec les platitudes, les dégoûts, les avortements, avec les foules, les armées, les justices, les politiques de ce temps, dont les centres d’action déplacés, arrachés de leurs naturels pivots, sont on ne sait où et tournent on ne sait quoi. Napoléon n’apparaît ici que par lointains épisodes, en brefs raccourcis, dans le recul de son héroïsme fatidique, de son cabotinisme prodigieux, de ses foules surmenées, piétinées, et toujours râlantes, et toujours en marche, sur un fond de clameurs, de canons, de sang, d’agonies de peuples, de résurrections d’empires, que pour rendre plus sensible l’écœurement de notre temps qui — suprême ironie ! — se repaît de cette terrible et bouleversante image d’un Empereur, au moment précis où il est prêt à tout abdiquer et où il n’offre plus rien