Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/110

Cette page a été validée par deux contributeurs.

je sais ce que je dis. Eh ! bien, je dis que, dans une société bien construite, il faut des riches et des pauvres ; des pauvres pour faire davantage sentir aux riches le prix de leurs richesses, et des riches pour donner aux pauvres l’exemple de toutes les vertus sociales… Vous me dites que les idées ont changé, ou qu’elles changent, ou qu’elles changeront un jour. Je n’en sais rien, et cela m’est indifférent. Ce qu’il importe de constater, c’est que les intérêts sont immuables. Or, l’intérêt veut que je m’enrichisse de toutes les manières et le plus qu’il m’est possible… Je n’ai pas à savoir ceci et cela. Je m’enrichis, voilà le fait !… Quant aux ouvriers ils touchent leurs salaires, n’est-ce pas ?… Que veulent-ils de plus ? Ah ! ça ! vous n’allez pas, je pense, établir une comparaison entre un économiste distingué, tel que je suis, et le stupide ouvrier qui ignore tout, qui ignore même ce que c’est que J. B. Say… L’ouvrier, monsieur, mais c’est le champ vivant que je laboure, que je défonce, que je soulève en grosses mottes humaines pour y semer la graine des braves louis d’or que je récolterai, que j’engrangerai dans mes coffres-forts… Quant à l’affranchissement social, à l’égalité, à — comment dites-vous ? — la solidarité mon Dieu ! je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’ils s’établissent dans l’autre monde… Mais dans ce monde-ci, holà ! Des gendarmes, encore des gendarmes, toujours des gendarmes !