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exclusivement politiques, et ce que je vois de plus clair dans l’esprit révolutionnaire de M. Jean Jaurès, comme dans l’esprit conservateur de M. Deschanel, c’est que tous les deux, ils ont, par des moyens différents, une semblable et dévorante ambition du pouvoir. Quand M. Jaurès proteste avec indignation contre la qualification de « socialiste d’État » que M. Léon Say lui donna, un jour, à la tribune, cela nous fait sourire un peu, vraiment. Et il ne fait que jouer sur les mots. Non, M. Jaurès n’est pas un socialiste d’État, selon la signification, d’ailleurs arbitraire, que l’on attribue à cette sorte de politicien. Mais il est quelque chose de pire. Qu’est donc le collectivisme, sinon une effroyable aggravation de l’État, sinon la mise en tutelle violente et morne de toutes les forces individuelles d’un pays, de toutes ses énergies vivantes, de tout son sol, de tout son outillage, de toute son intellectualité, par un État plus compressif qu’aucun autre, par une discipline d’État plus étouffante et qui n’a d’autre nom dans la langue, que l’esclavage d’État ? Car enfin je voudrais bien savoir comment M. Jaurès concilie avec la servitude de ses doctrines collectivistes, son respect avoué de l’individualisme, et comment, toutes ses idées s’étayant sur l’État, il peut, un jour, rêver la disparition de cet État qui est la seule base où il prétend instaurer sa société future ?