Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas le droit de souffrir… La souffrance, c’est un luxe de maître… Nous, nous devons marcher, et vite, et toujours… marcher, au risque de tomber… Drinn !… drinn !… drinn !… Et si, au coup de sonnette, l’on tarde un peu à venir, alors, ce sont des reproches, des colères, des scènes.

— Eh bien ?… Que faites-vous donc ?… Vous n’entendez donc pas ?… Êtes-vous sourde ?… Voilà trois heures que je sonne… C’est agaçant, à la fin…

Et, le plus souvent, ce qui se passe, le voici…

— Drinn !… drinn !… drinn !…

Allons bon !… Cela vous jette de votre chaise, comme sous la poussée d’un ressort…

— Apportez-moi une aiguille.

Je vais chercher l’aiguille.

— Bien !… apportez-moi du fil.

Je vais chercher le fil.

— Bon !… apportez-moi un bouton…

Je vais chercher le bouton.

— Qu’est-ce que c’est que ce bouton ?… Je ne vous ai pas demandé ce bouton… Vous ne comprenez rien… Un bouton blanc, numéro 4… Et dépêchez-vous !

Et je vais chercher le bouton blanc, numéro 4… Vous pensez si je maugrée, si je rage, si j’invective Madame dans le fond de moi-même ?… Durant ces allées et venues, ces montées et ces descentes, Madame a changé d’idée… Il lui faut autre chose, ou il ne lui faut plus rien :