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parlerai à qui je veux… je verrai qui me plaît… Tu ne me feras pas la loi, chameau…

Il a suffi que j’entende sa voix aigre, que je retrouve ses yeux méchants et ses ordres tyranniques, pour que fût effacée instantanément l’impression mauvaise, l’impression de dégoût que je rapportais de la messe, de l’épicière et de Rose… Rose et l’épicière ont raison ; la mercière aussi a raison… elles ont toutes raison… Et je me promets de voir Rose, de la voir souvent, de retourner chez l’épicière… de faire de cette sale mercière ma meilleure amie… puisque Madame me le défend… Et je répète intérieurement, avec une énergie sauvage :

— Chameau !… chameau !… chameau !…

Mais j’eusse été bien mieux soulagée si j’avais eu le courage de lui jeter, de lui crier, en pleine face, cette injure…


Dans la journée, après le déjeuner, Monsieur et Madame sont sortis en voiture. Le cabinet de toilette, les chambres, le bureau de Monsieur, toutes les armoires, tous les placards, tous les buffets sont fermés à clé… Qu’est-ce que je disais ?… Ah bien… merci !… Pas moyen de lire une lettre, et de se faire des petits paquets…

Alors, je suis restée dans ma chambre… J’ai écrit à ma mère, à monsieur Jean, et j’ai lu : En famille… Quel joli livre !… Et qu’il est bien écrit !… C’est drôle, tout de même… j’aime bien entendre