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toute nue, avec des yeux drôles, comme une chienne en chasse. Elle le fait venir près d’elle… l’embrasse… le caresse… et, disant qu’elle va lui chercher ses puces, voilà qu’elle le déshabille… Et alors, savez-vous ce qu’elle a fait ?… Eh bien, tout à coup, elle s’est jetée dessus, cette goule-là, et elle l’a pris de force… de force, oui, Mesdemoiselles… Et si vous saviez de quelle manière elle l’a pris ?…

— Comment qu’elle l’a pris ?… interroge vivement la petite noiraude, dont le museau de rat s’allonge et remue…

Toutes sont anxieuses… Mais, devenant sévère, pudique, Rose déclare :

— Ça ne peut pas se dire à des demoiselles !…

Des « ah ! » de désappointement suivent cette réponse. Rose continue, tour à tour indignée et émue :

— Un enfant de quinze ans… si c’est possible !… Et joli… joli comme un amour… et innocent, le pauvre petit martyr !… Ne pas respecter l’enfance… faut-il en avoir du vice dans le sang !… Paraît qu’en rentrant chez lui… il tremblait… tremblait… pleurait… pleurait… le chérubin… que c’était à vous fendre l’âme… Qu’est-ce que vous dites de ça ?…

C’est une explosion d’indignations, une avalanche de mots orduriers… Rose attend que le calme soit revenu… Elle poursuit :

— La mère est venue me conter la chose…