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ses… Une odeur de saumure, de légumes fermentés, de harengs saurs, persiste autour de nous, imprègne nos vêtements… C’est intolérable… Alors, chacune de ces créatures, tassées sur leur chaise comme des paquets de linge sale, s’acharne à raconter une vilenie, un scandale, un crime… Lâchement, j’essaie de sourire avec elles, d’applaudir avec elles, mais j’éprouve quelque chose d’insurmontable, quelque chose comme un affreux dégoût… Une nausée me retourne le cœur, me monte à la gorge impérieusement, m’affadit la bouche, me serre les tempes… Je voudrais m’en aller… Je ne le puis, et je reste là, idiote, tassée comme elles sur ma chaise, ayant les mêmes gestes qu’elles, je reste là à écouter stupidement ces voix aigres qui me font l’effet d’eaux de vaisselle ; glougloutant et s’égouttant par les éviers et par les plombs…

Je sais bien qu’il faut se défendre contre ses maîtres… et je ne suis pas la dernière à le faire, je vous assure… Mais non… là… tout de même, cela passe l’imagination… Ces femmes me sont odieuses ; je les déteste, et je me dis tout bas que je n’ai rien de commun avec elles… L’éducation, le frottement avec les gens chics, l’habitude des belles choses, la lecture des romans de Paul Bourget m’ont sauvée de ces turpitudes… Ah ! les jolies et amusantes rosseries des offices parisiens, elles sont loin !…

C’est Rose qui décidément obtient le plus