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voie, c’est Monsieur qui les engrosse… Un homme terrible, M. Lanlaire… Les jolies, les laides, les jeunes, les vieilles… et, à chaque coup, un enfant !… Ah ! on la connaît, la maison, allez… Et tout le monde vous dira ce que je vous dis… On est mal nourri… on n’a pas de liberté… on est accablé de besogne… Et des reproches, tout le temps, des criailleries… Un vrai enfer, quoi !… Rien que de vous voir, gentille et bien élevée comme vous êtes, il n’y a point de doute que vous n’êtes pas faite pour rester chez de pareils grigous…

Tout ce que la mercière m’a raconté, Mlle Rose me le raconte à nouveau, avec des variantes plus pénibles. Si violent est le besoin qu’a cette femme de bavarder, qu’elle finit par oublier sa souffrance. La méchanceté a raison de son asthme… Et le débinage de la maison va son train, mêlé aux affaires intimes du pays. Bien que je sache déjà tout cela, les histoires de Rose sont si noires et si désespérantes ses paroles, que me revoilà toute triste. Je me demande si je ne ferais pas mieux de partir… Pourquoi tenter une expérience où je suis vaincue d’avance ?

Quelques femmes se sont jointes à nous, curieuses, frôleuses, accompagnant d’un : « Pour sûr ! » énergique, chacune des révélations de Rose qui, de moins en moins essoufflée, continue de jaboter :

— Un bien bon homme que M. Mauger… et,