Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/75

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En passant près de moi, j’entends qu’elles se disent, dans un chuchotement :

— C’est la nouvelle du Prieuré…

L’une d’elles, courte, grosse, rougeaude, asthmatique et qui semble porter péniblement un immense ventre sur des jambes écartées en tréteau, sans doute pour le mieux caler, m’aborde en souriant, d’un sourire épais, visqueux, sur des lèvres de vieille licheuse.

— C’est vous, la nouvelle femme de chambre du Prieuré ?… Vous vous appelez Célestine ?… Vous êtes arrivée de Paris, il y a quatre jours ?…

Elle sait tout déjà… elle est au courant de tout, aussi bien que moi-même. Et rien ne m’amuse, sur ce corps pansu, sur cette outre ambulante, comme ce chapeau mousquetaire, un large chapeau de feutre noir, dont les plumes se balancent dans la brise.

Elle continue :

— Moi, je m’appelle Rose… mam’zelle Rose… Je suis chez M. Mauger… à côté de chez vous… un ancien capitaine… Vous l’avez peut-être déjà vu ?

— Non, Mademoiselle…

— Vous auriez pu le voir, par-dessus la haie qui sépare les deux propriétés… Il est toujours dans le jardin, en train de jardiner. C’est encore un bel homme, vous savez !…

Nous marchons plus lentement, car mam’zelle Rose manque d’étouffer. Elle siffle de la gorge comme une bête fourbue… À chaque respiration,