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Même au milieu des plus riches, des plus grasses campagnes normandes, j’ai la nostalgie de la lande, et de cette mer tragique et splendide où je suis née… Et ce souvenir brusquement évoqué met un nuage de mélancolie dans la gaîté de ce joli matin.

En chemin, je rencontre des femmes et des femmes… Un paroissien sous le bras, elles vont aussi, comme moi, à la messe : cuisinières, femmes de chambre et de basse-cour, épaisses, lourdaudes et marchant avec des lenteurs, des dandinements de bêtes. Ce qu’elles sont drôlement torchées, dans leurs costumes de fêtes… des paquets !… Elles sentent le pays à plein nez, et l’on voit bien qu’elles n’ont point servi à Paris… Elles me regardent avec curiosité, une curiosité défiante et sympathique, à la fois… Elles détaillent, en les enviant, mon chapeau, ma robe collante, ma petite jaquette beige et mon parapluie roulé dans son fourreau de soie verte. Ma toilette de dame les étonne, et surtout, je crois, la façon coquette et pimpante que j’ai de la porter. Elles se poussent du coude, ont des yeux énormes, des bouches démesurément ouvertes, pour se montrer mon luxe et mon chic. Et je vais, me trémoussant, leste et légère, la bottine pointue, et relevant d’un geste hardi ma robe qui, sur les jupons de dessous, fait un bruit de soie froissée… Qu’est-ce que vous voulez ?… Moi je suis contente qu’on m’admire.