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rades qu’on rencontre, des histoires qu’on apprend, des occasions de faire connaissance… Ah ! si j’avais voulu, à la sortie de la chapelle des Assomptionnistes, écouter de vieux messieurs très bien qui m’en chuchotaient, à l’oreille, de drôles de psaumes, je ne serais peut-être pas ici, aujourd’hui !…

Aujourd’hui, le temps s’est remis. Il fait un beau soleil, un de ces soleils brumeux qui rendent la marche agréable, et moins lourdes, les tristesses… Je ne sais pourquoi, sous l’influence de cette matinée bleu et or, j’ai dans le cœur presque de la gaieté…

Nous sommes à quinze cents mètres de l’église. Le chemin est gentil qui y conduit… une petite sente, ondulant entre des haies… Au printemps, il doit y avoir tout plein de fleurs, des cerisiers sauvages et des épines blanches qui sentent si bon… Moi, j’aime les épines blanches… Elles me rappellent des choses, quand j’étais petite fille… À part ça, la campagne est comme toutes les campagnes… elle n’a rien d’épatant. C’est une vallée très large, et puis, là-bas, au bout de la vallée, des coteaux. Dans la vallée, il y a une rivière ; sur les coteaux, il y a une forêt… tout cela couvert d’un voile de brume, transparente et dorée, qui cache trop à mon gré le paysage.

C’est drôle, je garde ma fidélité à la nature bretonne… Je l’ai dans le sang. Aucune ne me paraît aussi belle, aucune ne me parle mieux à l’âme.