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voie, en port payé, tous les soi-disant cadeaux que vous m’avez faits… Je suis une fille pauvre, mais j’ai trop de dignité — et j’aime trop la propreté — pour conserver les sales nippes dont vous vous êtes débarrassée, en me les donnant, au lieu de les jeter — comme elles le méritaient — aux ordures de la rue. Il ne faut pas que vous vous imaginiez, parce que je n’ai pas un sou, que je consente à porter sur moi, vos dégoûtants jupons, par exemple, dont l’étoffe est mangée et toute jaune, à force que vous y avez pissé dedans… J’ai l’honneur de vous saluer. »

C’était tapé, soit !… Mais c’était bête aussi, d’autant plus bête que, comme je l’ai déjà dit, Madame s’était toujours montrée généreuse envers moi, au point que ces affaires — que je me gardai bien de lui renvoyer d’ailleurs, — je les vendis le lendemain quatre cents francs à une marchande à la toilette…

N’était-ce point seulement la forme irritée du dépit où je me trouvais d’avoir quitté une place exceptionnellement agréable, comme on n’en rencontre pas beaucoup dans une existence de femme de chambre, une maison où il y avait tant de coulage… où l’on nous donnait tout à gogo… comme des princes ?…

Et puis, zut !… on n’a pas le temps d’être juste avec ses maîtres… Et tant pis, ma foi ! Il faut que les bons paient pour les mauvais…