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Elle fut comme effrayée de mes paroles :

— Taisez-vous… oh ! taisez-vous… s’écria-t-elle.

J’insistai :

— Mais toutes les amies de Madame en ont, des amants…

— Taisez-vous… Ne me parlez jamais de cela…

— Mais puisque Madame est si amoureuse !…

Avec une impudence tranquille, je lui citai le nom d’un petit jeune homme très chic qui venait souvent à la maison… Et j’ajoutai :

— Un amour d’homme !… Et comme il doit être adroit, délicat avec les femmes !…

— Non… non… Taisez-vous… Vous ne savez pas ce que vous dites…

— Comme Madame voudra… Moi, ce que j’en fais, c’est pour le bien de Madame…

Et obstinée dans son rêve, pendant que Monsieur, sous la lampe de la bibliothèque, alignait des chiffres et traçait des ronds avec des compas, elle répétait :

— Il viendra, peut-être, cette nuit ?…

Tous les jours à l’office, durant le petit déjeuner, c’était l’unique sujet de notre conversation… On s’informait auprès de moi…

— Eh bien ?… Quoi ?… Est-ce que Monsieur a marché enfin ?

— Rien, toujours…

Vous pensez si c’était là un thème admirable