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était, au contraire, fort jolie ; non qu’il courût après les autres femmes ; il était d’une sagesse exemplaire… Plus très jeune et, sans doute, peu porté sur la chose, ça ne lui disait rien, quoi !… Il restait des mois et des mois sans venir la nuit, chez Madame… Et Madame se désespérait… Tous les soirs, je faisais à Madame une belle toilette d’amour… des chemises transparentes… des parfums à se pâmer… et de tout… Elle me disait :

— Il viendra, peut-être, ce soir, Célestine ?… Savez-vous ce qu’il fait, en ce moment ?

— Monsieur est dans sa bibliothèque… Il travaille…

Elle avait un geste d’accablement.

— Toujours, dans sa bibliothèque !… Mon Dieu !…

Et elle soupirait :

— Il viendra peut-être, tout de même, ce soir…

J’achevais de la pomponner et, fière de cette beauté, de cette volupté, qui étaient un peu mon œuvre, je considérais Madame avec admiration. Je m’enthousiasmais :

— Monsieur aurait joliment tort de ne pas venir, ce soir, car, rien qu’à voir Madame, sûr que Monsieur ne s’embêterait pas… ce soir !

— Ah ! taisez-vous… taisez-vous !… frissonnait-elle.

Naturellement, le lendemain, c’étaient des tristesses, des plaintes, des pleurs…

— Ah ! Célestine !… Monsieur n’est pas venu,