Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

condition toutefois… primo… que vous n’y prendrez, vous, aucun plaisir coupable…

— Ah ! je vous le jure, mon père !…

Secundo… que vous donnerez tous les ans une somme de deux cents francs… pour l’autel de la Très-Sainte-Vierge…

— Deux cents francs ?… sursauta Madame… Pour ça ?… Ah non !…

Et elle envoya promener le curé en douceur…

— Alors, terminait la mercière, qui me faisait ce récit… Pourquoi Monsieur est-il si bon, est-il si lâche envers une femme qui lui refuse non seulement de l’argent, mais du plaisir ? C’est moi qui la mettrais à la raison et rudement, encore…

Et voici ce qui arrive… Quand Monsieur, qui est un homme vigoureux, extrêmement porté sur la chose, et qui est aussi un brave homme, veut se payer — dame, écoutez donc ? — une petite joie d’amour, ou une petite charité envers un pauvre, il en est réduit à des expédients ridicules, des carottages grossiers, des emprunts pas très dignes, dont la découverte par Madame amène des scènes terribles, des brouilles qui, souvent, durent des mois entiers… On voit alors Monsieur s’en aller par la campagne et marcher, marcher comme un fou, faisant des gestes furieux et menaçants, écrasant des mottes de terre, parlant tout seul, dans le vent, dans la pluie, dans la neige… puis, rentrer le soir chez lui, plus timide,