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Les mains dans ses poches, crâne sous son béret bleu, il se dandinait drôlement…

— Tu comprends ?… insista-t-il. Au moment d’une guerre… une Alsacienne bien jolie, bien frusquée, ça enflamme les cœurs, ça excite le patriotisme… Et il n’y a rien comme le patriotisme pour saouler les gens… Qu’est-ce que tu en penses ?… Je te ferais mettre sur les journaux… et même, peut-être, sur des affiches…

— J’aime mieux rester en dame !… répondis-je, un peu sèchement.

Là-dessus, nous nous disputâmes. Et, pour la première fois, nous en vînmes aux mots violents.

— Tu ne faisais pas tant de manières quand tu couchais avec tout le monde… cria Joseph.

— Et toi !… quand tu… Tiens, laisse-moi, parce que j’en dirais trop long…

— Putain !

— Voleur !

Un client entra… Il ne fut plus question de rien. Et le soir, on se raccommoda dans les baisers…

Je me ferai faire un joli costume d’Alsacienne… avec du velours et de la soie… Au fond, je suis sans force contre la volonté de Joseph. Malgré ce petit accès de révolte, Joseph me tient, me possède comme un démon. Et je suis heureuse d’être