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atmosphère de tuerie, parmi toutes ces faces bestiales, lourdes d’alcool et de meurtre… Mais Joseph me rassure :

— C’est rien… fait-il… Faut ça pour les affaires…

Hier, revenant du marché, Joseph, se frottant les mains, très gai, m’annonça :

— Les nouvelles sont mauvaises. On parle de la guerre avec l’Angleterre.

— Ah ! mon Dieu ! m’écriai-je. Si Cherbourg allait être bombardé ?

— Ouah !… ouah !… ricana Joseph… Seulement, j’ai pensé à une chose… j’ai pensé à un coup… à un riche coup…

Malgré moi, je frissonnai… Il devait ruminer quelque immense canaillerie.

— Plus je te regarde… dit-il… et plus je me dis que tu n’as pas une tête de bretonne. Non, tu n’as pas une tête de bretonne… Tu aurais plutôt une tête d’alsacienne… Hein ?… Ça serait un fameux coup d’œil dans le comptoir ?

J’éprouvai de la déception… Je croyais que Joseph allait me proposer une chose terrible… J’étais fière déjà d’être de moitié dans une entreprise hardie… Chaque fois que je le vois songeur, mes idées s’allument tout de suite. J’imagine des tragédies, des escalades nocturnes, des pillages, des couteaux tirés, des gens qui râlent sur la bruyère des forêts… Et voilà qu’il ne s’agissait que d’une réclame, petite et vulgaire…