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mécaniciens de l’escadre, très calés, qui me font une cour assidue. Naturellement, pour me plaire, ils dépensent beaucoup. Joseph les gâte spécialement, car ce sont de terribles pochards. Nous avons pris aussi quatre pensionnaires. Ils mangent avec nous et chaque soir se paient du vin, des liqueurs de supplément, dont tout le monde profite… Ils sont fort galants avec moi et je les excite de mon mieux… Mais il ne faudrait pas, je pense, que mes façons dépassassent l’encouragement des banales œillades, des sourires équivoques et des illusoires promesses… Je n’y songe pas, d’ailleurs… Joseph me suffit, et je crois bien que je perdrais au change, même s’il s’agissait de le tromper avec l’amiral… Mazette !… c’est un rude homme… Bien peu de jeunes gens seraient capables de satisfaire une femme comme lui… C’est drôle, vraiment… quoiqu’il soit bien laid, je ne trouve personne d’aussi beau que mon Joseph… Je l’ai dans la peau, quoi !… Oh ! le vieux monstre !… Ce qu’il m’a prise !… Et il les connaît, tous les trucs de l’amour, et il en invente… Quand on pense qu’il n’a pas quitté la province… qu’il a été toute sa vie un paysan, on se demande où il a pu apprendre tous ces vices-là…

Mais où Joseph triomphe, c’est dans la politique. Grâce à lui, le petit café, dont l’enseigne : À l’armée française ! brille sur tout le quartier, le jour, en grosses lettres d’or, le soir, en grosses lettres de feu, est maintenant le rendez-vous offi-