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Et il s’obstinait, sans jamais s’expliquer davantage…

— Non… non… ça ne se peut pas encore…

Tout naturellement, je songeais :

— C’est juste, après tout… S’il a volé l’argenterie, il ne peut pas s’en aller maintenant, ni s’établir… On aurait des soupçons peut-être. Il faut que le temps passe et que l’oubli se fasse sur cette mystérieuse affaire…

Un autre soir, je proposai :

— Écoutez, mon petit Joseph, il y aurait un moyen de partir d’ici… il faudrait avoir une discussion avec Madame et l’obliger à nous mettre à la porte tous les deux…

Mais il protesta vivement :

— Non, non… fit-il… Pas de ça, Célestine. Ah ! mais non… Moi, j’aime mes maîtres… Ce sont de bons maîtres… Il faut bien quitter d’avec eux… Il faut partir d’ici comme de braves gens… des gens sérieux, quoi… Il faut que les maîtres nous regrettent et qu’ils soient embêtés… et qu’ils pleurent de nous voir partir…

Avec une gravité triste où je ne sentis aucune ironie, il affirma :

— Moi, vous savez, ça me fera du deuil de m’en aller d’ici… Depuis quinze ans que je suis ici… dame !… on s’attache à une maison… Et vous, Célestine… ça ne vous fera pas de peine ?

— Ah ! non… m’écriai-je, en riant.

— C’est pas bien… c’est pas bien… Il faut