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Il semblait que ce malheur m’atteignît, moi aussi, que je fusse de la famille pour en partager les épreuves et les douleurs. J’aurais voulu dire des paroles consolatrices à Madame dont l’attitude affaissée me faisait peine à voir… Mais cette impression de solidarité ou de servitude s’effaça vite.

Le crime a quelque chose de violent, de solennel, de justicier, de religieux, qui m’épouvante certes, mais qui me laisse aussi — je ne sais comment exprimer cela — de l’admiration. Non, pas de l’admiration, puisque l’admiration est un sentiment moral, une exaltation spirituelle, et ce que je ressens n’influence, n’exalte que ma chair… C’est comme une brutale secousse, dans tout mon être physique, à la fois pénible et délicieuse, un viol douloureux et pâmé de mon sexe… C’est curieux, c’est particulier, sans doute, c’est peut-être horrible, — et je ne puis expliquer la cause véritable de ces sensations étranges et fortes, — mais chez moi, tout crime, — le meurtre principalement, — a des correspondances secrètes avec l’amour… Eh bien, oui, là !… un beau crime m’empoigne comme un beau mâle…

Je dois dire qu’une réflexion que je fis transforma subitement en gaîté rigoleuse, en contentement gamin, cette grave, atroce et puissante jouissance du crime, laquelle succédait au mou-