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terie dans trois lourdes caisses armées de traverses et de coins d’acier. Les caisses étaient vissées à la planche du bas et tenaient au mur, scellées par de solides pattes de fer. Or, les trois caisses, arrachées de leur mystérieux et inviolable tabernacle, bâillaient au milieu de la pièce, vides. À cette vue, Joseph donna l’alarme. De toute la force de ses poumons, il cria dans l’escalier :

— Madame !… Monsieur !… Descendez vite… On a volé… on a volé !…

Ce fut une avalanche soudaine, une dégringolade effrayante. Madame, en chemise, les épaules à peine couvertes d’un léger fichu. Monsieur, boutonnant son caleçon hors duquel s’échappaient des pans de chemise… Et, tous les deux, dépeignés, très pâles, grimaçants, comme s’ils eussent été réveillés en plein cauchemar, criaient :

— Qu’est-ce qu’il y a ?… qu’est-ce qu’il y a ?…

— On a volé… on a volé !…

— On a volé, quoi ?… on a volé, quoi ?

Dans la salle à manger, Madame gémit :

— Mon Dieu !… mon Dieu !

Pendant que, les lèvres tordues, Monsieur continuait de hurler :

— On a volé, quoi ? quoi ?

Dans l’office, guidée par Joseph, à la vue des trois caisses descellées… Madame poussa, dans un grand geste, un grand cri :

— Mon argenterie !… Mon Dieu !… Est-ce possible ?… Mon argenterie !