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dit ?… Alors, je m’en allai définitivement, poursuivie toujours par cet irritant refrain :

— C’est la vie…

Les rues me semblèrent insupportablement tristes… Les passants me firent l’effet de spectres. Quand je voyais, de loin, briller sur la tête d’un monsieur, comme un phare dans la nuit, comme une coupole dorée sous le soleil, un chapeau… mon cœur tressautait… Mais ce n’était jamais William… Dans le ciel bas, couleur d’étain, aucun espoir ne luisait…

Je rentrai dans ma chambre, dégoûtée de tout…

Ah ! oui ! les hommes !… Qu’ils soient cochers, valets de chambre, gommeux, curés ou poètes, ils sont tous les mêmes… Des crapules !…


Je crois bien que ce sont les derniers souvenirs que j’évoque. J’en ai d’autres pourtant, beaucoup d’autres. Mais ils se ressemblent tous et cela me fatigue d’avoir à écrire toujours les mêmes histoires, à faire défiler, dans un panorama monotone, les mêmes figures, les mêmes âmes, les mêmes fantômes. Et puis, je sens que je n’y ai plus l’esprit, car, de plus en plus, je suis distraite des cendres de ce passé, par les préoccupations nouvelles de mon avenir. J’aurais pu dire encore mon séjour chez la comtesse Fardin. À quoi bon ? Je suis trop lasse et aussi trop écœurée. Au milieu des mêmes phénomènes sociaux, il y avait là une vanité qui me dégoûte plus que les autres :