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circonstances, avait le mot juste et définitif.

Pour en donner l’immédiate et matérielle preuve, il tirait de sa poche un magnifique impérialès, dérobé le matin même, en coupait le bout, soigneusement, l’allumait avec satisfaction et tranquillité, déclarant, entre deux bouffées odorantes :

— Il ne faut jamais se plaindre de la bêtise de ses maîtres, ma petite Célestine… C’est la seule garantie de bonheur que nous ayons, nous autres… Plus les maîtres sont bêtes, plus les domestiques sont heureux… Va me chercher la fine champagne…

À demi couché dans un fauteuil à bascule, les jambes très hautes et croisées, le cigare au bec, une bouteille de vieux Martell à portée de la main, lentement, méthodiquement, il dépliait l’Autorité, et il disait, avec une bonhomie admirable :

— Vois-tu, ma petite Célestine… il faut être plus fort que les gens qu’on sert… Tout est là… Dieu sait si Cassagnac est un rude homme… Dieu sait s’il est en plein dans mes idées, et si je l’admire, ce grand bougre-là… Eh bien, comprends-tu ?… je ne voudrais pas servir chez lui… pour rien au monde… Et ce que je dis de Cassagnac, je le dis aussi d’Edgar, parbleu !… Retiens-bien ceci, et tâche d’en profiter. Servir chez des gens intelligents et qui « la connaissent »… c’est de la duperie, mon petit loup…