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de transmettre de l’un à l’autre… Toute la journée, je faisais le facteur, de la chambre de Madame au cabinet de Monsieur, porteuse d’ultimatums terribles, de menaces… de supplications… de pardons et de larmes… C’était à mourir de rire…

Au bout de quelques jours, ils se réconciliaient, comme ils s’étaient fâchés, sans raison apparente… Et c’étaient des sanglots, des « oh !… méchant !… oh ! méchante ! »… des : « c’est fini… puisque je te dis que c’est fini »… Ils s’en allaient faire une petite fête au restaurant, et, le lendemain, se levaient très tard, fatigués d’amour…

J’avais tout de suite compris la comédie qu’ils se jouaient à eux-mêmes, les deux pauvres cabots… et quand ils menaçaient de se quitter, je savais très bien qu’ils n’étaient pas sincères. Ils étaient rivés l’un à l’autre, celui-ci par son intérêt, celle-là par sa vanité. Monsieur tenait à Madame qui avait l’argent, Madame se cramponnait à Monsieur qui avait le nom et le titre. Mais, comme, dans le fond, ils se détestaient, en raison même de ce marché de dupe qui les liait, ils éprouvaient le besoin de se le dire, de temps à autre, et de donner une forme ignoble, comme leur âme, à leurs déceptions, à leurs rancunes, à leurs mépris.

— À quoi peuvent bien servir de telles existences ?… disais-je à William.

— À Bibi !… répondait celui-ci qui, en toutes