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Sitôt William rentré, la poésie s’envolait. Il m’apportait l’odeur lourde du bar, et ses baisers qui sentaient le gin avaient vite fait de casser les ailes à mon rêve… Je n’ai jamais voulu lui montrer mes vers. À quoi bon ? Il se fût moqué de moi, et du sentiment qui me les inspirait. Et sans doute qu’il m’eût dit :

— Edgar, qui est un homme épatant… est-ce qu’il fait des vers, lui ?…

Ma nature poétique n’était pas la seule cause de l’impatience où j’étais de partir pour la campagne. J’avais l’estomac détraqué par la longue misère que je venais de traverser… et, peut-être aussi, par la nourriture trop abondante, trop excitante de maintenant, par le champagne et les vins d’Espagne, que William me forçait à boire. Je souffrais réellement. Souvent, des vertiges me prenaient, le matin, au sortir du lit… Dans la journée, mes jambes se brisaient ; je ressentais, à la tête, des douleurs comme des coups de marteau… J’avais réellement besoin d’une existence plus calme, pour me remettre un peu…

Hélas !… il était dit que tout ce rêve de bonheur et de santé, allait encore s’écrouler…

Ah ! merde ! comme disait Madame…


Les scènes entre Monsieur et Madame commençaient toujours dans le cabinet de toilette de Madame et, toujours, elles naissaient de prétextes futiles… de rien. Plus le prétexte était futile et